14/07/2017

Une nouvelle fois, la parabole du semeur (15ème dimanche)



Nous lisons une nouvelle fois la parabole du semeur. Comment ne pas fatiguer à dire des choses entendues des dizaines de fois ? Comment ne pas tomber dans l’anecdotique ou le farfelu en cherchant à se renouveler ? Le texte ne paraît pas faire problème. Nous n’aurons donc pas de mal à répondre à la question de savoir qui est le héros de la parabole, le personnage principal. Et pourtant…
Au début, il semble que ce soit le semeur. Cependant, dans bien des lectures, y compris celle que présente l’évangile, cela paraît plutôt être le terrain. Tout semble parler du semeur et pourtant, nous lisons la parabole comme un discernement du terrain favorable. Subrepticement, la caméra a glissé du semeur à la terre. Que s’est-il passé ?
On pourrait faire remarquer qu’il en va bien ainsi. Que Dieu, à l’origine de toute chose, disparaît de ce monde au profit des hommes, qu’ils écoutent ou non sa parole. La responsabilité échoie à l’humanité de poursuivre l’œuvre de vie ou de tuer la vie dans l’œuf.
Pour focaliser l’attention sur les terrains, il suffit de remplacer, comme le commentaire que propose l’évangile lui-même, les termes de l’histoire par d’autres. La version de Luc est la plus claire : « La semence c’est la parole de Dieu, ceux qui sont au bord du chemin, ce sont ceux qui », etc. Matthieu ne se préoccupe que des terrains. « Celui-là, c’est le terrain ensemencé au bord du chemin ; etc. »
La parabole délivrerait alors une leçon de morale, une leçon sur le comportement. Elle encouragerait à être le bon terrain, c’est-à-dire à écouter la parole et à l’accueillir, à l’écouter et à la mettre en pratique, de sorte qu’une parole reçue devienne, en cent ou soixante ou trente occasions, une parole pour d’autres.
Le problème, c’est que l’on ne dit pas comment on devient bonne terre, comment on peut de chemin, sol pierreux ou plein de ronces devenir auditeur de la parole. Il est urgent de revenir à celui que l’on a laissé de côté alors qu’il semble si évidemment être le protagoniste, le semeur.
Rien que la façon de le nommer attire l’attention, non pas « « Voici que le semeur est sorti pour semer » mais « Voici : celui que sème sortit pour semer ». Tout est action, sortir, semer. Il sortit, une fois. C’est Dieu qui sort au matin du monde qui est notre présent. Il vient à notre rencontre. « Tu visites la terre et tu l’abreuves, tu la combles de richesses. Le ruisseau de Dieu est rempli d'eau, tu prépares les épis. Ainsi tu la prépares arrosant ses sillons, aplanissant ses mottes, tu la détrempes d'averses, tu bénis son germe. » (Ps 64-65).
Et il sort pour semer. Importe moins son identité que son action, ou plutôt son identité est son acte, il est celui qui sème. « Le semant sortit pour semer. » Le pléonasme insiste et la suite en rajoute : « Et, comme il semait ».
On ne sait pas ce qu’il sème, blé, légumes ou autre. Impossible dès lors de faire parler les chiffres du rendement. Cela fait juste beaucoup, trente, soixante ou cent pour un. Le texte grec n’a pas même besoin d‘ajouter « des grains tombèrent ». On lit mot-à-mot : « Voici : le semant sortit pour semer. Et comme il semait, il en tomba au bord du chemin. Et d’autres tombèrent…, Et d’autres tombèrent…, Et d’autres tombèrent… » Non seulement le terrain ne serait pas le but de la parabole, mais la semence non plus. Il y a juste Dieu et son unique action, source de vie, généreuse, débordante, inépuisable, ensemencer la terre entière sans compter, de même qu’« il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. »
Plus intriguant. Alors qu’on sème, déjà on parle du fruit, abondant. On ne parle cependant pas de récolte, de moisson. Ce n’est pas la parabole du moissonneur qui constate le rendement. C’est la parabole du semeur. Le semeur ne cherche pas à ce que cela lui rapporte, il désire seulement le fruit abondant. Dieu n’est pas un moissonneur qui vient chercher son dû, ou un productiviste qui arrache les plans inutiles. Dieu est semeur.
Bref, c’est l’histoire de quelqu’un qui s’y prend à quatre fois pour la tâche qui le définit tout entier, semer. La première fois, cela ne marche pas, la deuxième non plus, la troisième pas davantage. Comme dans les contes, on fait monter le suspens. Et là, d’un seul coup, on passe du rien au tout. Est manifeste la fécondité du semeur.
Dieu, enfin, a trouvé la bonne terre ; après de nombreux essais, sa parole porte un fruit abondant. Trois fois sur quatre, cela semble raté, grand désastre jusque dans la mort de Jésus. Fallait-il créer dans ces conditions ? C’est la responsabilité de Dieu que défend la parabole. Créer pour la vie, plus fort que tout ce qui l’empêche. Or, dès le début, lorsqu’il sortit, au matin du monde qui est notre présent et a-venir, la bonne terre porte du fruit. Plus fort que la stérilité, que la mort et la violence qui font disparaître, étouffent ou brûlent, il y a la vie. Malgré le prix de la stérilité et pour en libérer les victimes, la générosité de vie voit l’abondance du fruit. Jésus est cette terre en qui la parole fructifie. « La terre a donné son fruit, Dieu notre Dieu nous bénit. » (Ps 65-66)

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