18/11/2016

Notre monde et le Royaume des cieux (Le Christ Roi)


Le Christ, roi de l’univers. Quel est l’évangile qui vient asseoir pour nous semblable confession de foi ? La mort en croix de Jésus (Lc 23, 35-43). De quel royaume s’agit-il si l’intronisation est mise à mort, crucifixion ? Nous rendons-nous bien compte de ce que nous affirmons ?
Si projet politique il y a dans l’affirmation du Christ, roi de l’univers – et il y a effectivement un projet politique dans la confession de foi chrétienne – il ne relève pas d’une prise de pouvoir, de la promotion d’un type de régime politique, de la nomination d’un gouvernement qui installerait une société ou une civilisation chrétienne. Il ne s’agit pas de promouvoir une société et une civilisation qui laisseraient structurellement une place pour Dieu, une obligation légale du divin, qui fonderait ainsi l’ordre, la vérité, la morale.
Mais qui d’entre nous cherche véritablement un tel projet politique ? Bien sûr, alors que s’effondre le consensus sur lequel nos démocraties s’édifient, nous prenons conscience de la nécessité de faire quelque chose. Mais nous ne pourrons pas revenir à un récit commun, dans un monde définitivement pluraliste et interdépendant, sauf à recourir à la violence et à la tyrannie. C’est pourtant la démarche des populismes qui érige la chimère d’un unanimisme, non seulement comme voie royale, mais comme les avenues brunes où défileront les bottes fascistes. Le populisme, pour aller à l’unanimisme, qu’il appelle l’identité nôtre, recourt à l’exclusion de ceux qui n’en sont pas. Il n’y a pas d’unanimité lorsque l’on commence par exclure.
La bénédiction de Babel nous a appris cela. Parler une seule langue, c’est comme ne voir aucune oreille dépasser. Nous devons bâtir un monde où les différences non seulement coexistent mais trouvent place dans le débat social.
Que reste-t-il comme projet ou moteur pour notre monde ? Le capitalisme, l’argent pourraient-il être fédérateurs ? Ne sont-ils pas le ressort de la construction européenne, sous couvert d’un projet de paix ? Le problème avec l’argent, qui, de fait, fait courir tant de monde au point de pouvoir être un principe unificateur, est qu’il augmente les inégalités ‑ du moins est-ce ce que nous voyons ‑, rate la possibilité de construire l’unité de l’humanité et de fonder un projet pour vivre ensemble.
Que reste-t-il comme projet ou moteur pour notre monde ? Ne pourrons-nous que foncer dans la guerre planétaire dont les replis nationalistes qui se multiplient semblent être les augures ? L’évangile a-t-il quelque chose à dire, non seulement à ceux qui sont rassemblés en son nom, mais à tout homme, par l’entremise de ses disciples, pour construire ce monde ? Ne serait-ce pas cela le Royaume des cieux, ce que l’évangile a à dire à l’homme hier comme aujourd’hui et demain, pour vivre en frères ?
L’évangile renverse tout. L’unanimité qui fondera un royaume de paix n’est pas d’affirmations, fût-ce de valeurs, et les meilleures, l’amour, le pardon, l’hospitalité, ce qui est déjà énorme. L’unité est de retrait. Jésus est retiré du monde comme un criminel. C’est sur la croix qu’il parle du Royaume à celui qui meurt avec lui. Et, ajoute Jean, la vie de Jésus ne lui est pas seulement prise, mais c’est lui qui la donne.
Si la croix est intronisation du prince du Royaume des cieux, c’est effectivement le renversement de toutes les valeurs. Le serviteur est la figure maîtresse ‑ étrange oxymore ‑ de celui qui règne en servant, de celui qui n’est au centre qu’à rejoindre et habiter les marges. Le serviteur, l’esclave disent l’évangile et Paul, en sa forme extrême, jusqu’au bout du don de soi, jusqu’au bout du service. N’est-ce pas seulement le service ‑ être otage d’autrui dirait Levinas ‑, qui permet à l’évangile de féconder ce monde en vue de la fraternité, de ce que nous appelons le Royaume des cieux.
Visconti, dans les Damnés, que la Comédie Française met en scène depuis juillet dernier, laisse planer sur nos sociétés l’ombre des fascismes. Les inégalités sont le terreau du renversement des démocraties ; le terrorisme actuel les fragilise sur un autre front. L’issue catastrophique n’est-elle qu’une manière de s’amuser à se faire peur ? Quel monde laissons-nous à nos enfants ?
Choisir le chemin du serviteur, je le sais, n’est guère enthousiasmant. Mais si c’était le seul pour la survie de l’humanité, pour la possibilité de transmettre la paix à nos enfants, n’est-il pas que temps de suivre le Christ, roi de l’univers qui règne en servant ?

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